Quelle est la situation financière à Autrans-Méaudre ?

La perspective d’une fermeture quasi inévitable des stations de ski alpin d’Autrans-Méaudre met en lumière une gestion financière déjà critique depuis plusieurs années et l’absence de réaction. Regarder la situation en face, et assumer ensemble la réalité avec confiance en nos capacités nous permettra de rebondir. 

Une régie structurellement déficitaire depuis 2016

Dans son courrier adressé aux habitants en mai dernier, le maire d’Autrans-Méaudre Hubert Arnaud pose le cadre : “La mauvaise saison hivernale n’a pas permis d’équilibrer le budget 2023 des remontées mécaniques. Cette situation n’est pas récente puisque depuis 2016 le budget de la commune abonde le budget de fonctionnement des remontées mécaniques. Cette situation confirme ainsi un budget de la station structurellement déficitaire.”

Déjà avant 2023, les signaux d’alertes ont été nombreux et les réactions n’ont pas été à la mesure : 

Juillet 2016Un rapport de la Chambre régionale des comptes sur la gestion financière de la commune d’Autrans est publié. Le rapport de 59 pages est très documenté et formel : le modèle économique du domaine alpin d’Autrans est structurellement déficitaire et tout investissement supplémentaire dans l’activité ski se fera en pure perte. Il ajoute que la commune ne doit pas compenser les déficits récurrents de la régie.

« Le domaine de ski alpin d’Autrans souffre périodiquement d’une absence d’enneigement et les résultats d’exploitation cumulés depuis 2008 sont négatifs à hauteur de 176 k€. Il n’est plus raisonnable d’effectuer des investissements sur ce domaine, la limite du modèle économique étant atteinte.

La chambre a comparé le résultat courant du budget à la recette que rapporte une journée skieur en moyenne (9 €), afin de déterminer le nombre de « skieurs » qui ont manqué afin d’atteindre un équilibre du résultat courant (de toute évidence insuffisant pour financer les investissements) Entre 2008 et 2014, 35 889 skieurs ont manqué, soit 5 100 en moyenne par saison.La chambre estime qu’une trop grande surface de piste est damée par rapport à la fréquentation, ce qui explique que le service soit très coûteux, alors même que le potentiel de croissance de la fréquentation est quasi-nul. Si le domaine était exploité par un prestataire privé, un certain nombre de pistes auraient été fermées. Le service de gestion des remontées mécaniques doit faire face à des dépenses conséquentes sur les installations et n’a plus la capacité de porter aujourd’hui des investissements importants. La chambre rappelle que les méthodes comptables doivent être appliquées de manière constante, afin de ne pas fausser les résultats d’exploitation du budget annexe. »

Rapport de la Chambre régionale des comptes sur la gestion financière de la commune d’Autrans (juillet 2016)

De 2019 à 2022  : Malgré cette alerte serieuse, les dépenses et investissements se poursuivent : montée de canalisations d’eau à la Sure, installation et enfouissement de citernes (534 000 euros), achat de canons à neige et de surpresseurs, construction de bâtiment pour l’entretien des dameuses (520 000 euros).
Il a par ailleurs fallu assumer  le coût de la grande visite des télésièges de la Quoi et de la Forêt à Autrans soit 540 000 €.

Ces investissements sont-ils supportables ? L’exploitation des remontées mécaniques dégage-t-elle plus de recettes que de dépenses pour le territoire ? Ne serait-il pas opportun d’étudier sérieusement d’autres modèles de développement économique pour ainsi opérer une transition progressive (lire notre article sur le sujet en 2020) ? Ces questions sont légitimes, mais la posture de la mairie ne variera pas.
Ainsi, presque chaque année, la commune comble – au titre de “l’intérêt général” le déficit chronique de la Régie des Remontées Mécaniques avec le budget principal de la commune (c’est-à-dire celui qui doit servir à financer l’ensemble des dépenses et investissements de la commune). 

Sans comptabilité analytique permettant de distinguer les différents coûts d’exploitation (remontées mécaniques, piscine, tyrolienne, etc), le flou est maintenu autour de la viabilité des différents équipements et la pertinence de continuer à renflouer les comptes de la régie. Pourtant, cette lecture aurait pu servir de base de réflexion en vue de légitimer des choix de développement. Déjà en 2021, nous alertions le conseil municipal sur ces arbitrages budgétaires de plus en plus discutables (lire notre analyse à l’époque).

Mai 2022 : Le cabinet d’expertise Klopfer est mandaté par la mairie pour faire un bilan financier sur les dernières années et travailler une prospective pour la période 2023-2027. Ce nouveau rapport enfonce le clou et confirme que la pérennité du ski alpin est de plus en plus aléatoire et que l’ouverture de deux stations n’est plus viable économiquement : cumul des déficits, incertitude de la neige, hausse générale des prix, baisse de la clientèle, augmentation du prix de l’énergie, masse salariale à un niveau élevé…  Il confirme également que le versement d’une subvention exceptionnelle lors des années de faible activité reviendrait à utiliser une grande partie de l’épargne de la commune.

Déficit structurel plus ou moins marqué selon les scénarii, mais aucun ne permettrait en l’état de retrouver un équilibre (économique et donc budgétaire) de l’activité des remontées mécaniques.

A condition que ce soit considéré comme conforme à la loi par les services de l’Etat, il en résulterait le versement structurel (et non plus exceptionnel et de manière dérogatoire) d’une subvention d’équilibre à ce budget annexe RM laquelle, lors des années où le risque neige se matérialiserait, représenterait peu ou prou l’intégralité de l’épargne brute qui pourrait être dégagée par la Commune sur son budget principal + budget annexe Bois et Forêt (non viable à terme). 

Dès lors, nécessité d’améliorer de manière structurelle et substantielle la performance financière du service.

Rapport Cabinet Michel Klopfer : Analyse financière rétrospective (2016-2022) et prospective (2023-2027) du budget annexe Remontées mécaniques (BA RM) de la Commune d’Autrans-Méaudre en Vercors 22 juin 2023

Le déficit cumulé en 2021 et 2022 s’élevait à 194 000 €, celui de 2023 devrait être de 472 000 €. Ainsi, nous allons débuter l’hiver 2023-2024 avec un déficit de 666 000 €.

2023, une année qui sera charnière

Le 26 mai 2023 : Le préfet de l’Isère saisit la chambre régionale des comptes au motif que le budget 2023 de la commune d’Autrans-Méaudre-en-Vercors a été voté malgré un déficit, ce qui est illégal. En effet, il manque près d’1 million d’euros au budget de la régie. 

La saisine préfectorale porte sur le budget des remontées mécaniques de la commune d’Autrans-Méaudre-en-Vercors. Elle interroge la sincérité des recettes d’exploitation, au sens de l’article L. 1612-5 du CGCT et donc de son équilibre réel.

Extrait de l’avis n° 2023-0111 de la Chambre régionale des Comptes.
(Séance du 21 juin 2023)

Cette saisine – qui aurait pu se solder par la fermeture pure et simple des deux stations – a finalement été jugée irrecevable car elle a été enregistrée deux jours trop tard par rapport au délai de 30 jours maximum à compter de l’envoi des comptes par la commune (voir l’avis de contrôle budgétaire). 

Même si ce vice de procédure a retardé la sanction, l’intention du préfet est connue et la situation d’Autrans-Méaudre est donc soumise à la prochaine saisine (qui cette fois ci, ne manquera sans doute pas d’être en règle). Celle-ci pourrait intervenir à l’issue de l’exercice 2023. Ainsi, l’ultimatum est lancé : le déficit doit être résorbé d’ici au 31 décembre 2023 sinon la préfecture devra rétablir la situation, par tous les moyens à sa disposition (fermeture, liquidation…), puis suivront les mesures pour apurer cette dette, c’est-à-dire le report de la dette sur le budget communal. 

Il n’y aura pas d’autre solution que l’apurement de la dette d’ici au 31 Décembre 2023.

Hubert Arnaud (CM du 28 septembre 2023)

Dès lors, la commune cherche par tous les moyens à résorber ce déficit. Il s’agit de limiter les dépenses de la régie (d’où le vote de la bascule de nombreux frais de fonctionnement ou de personnels sur le budget communal lors des derniers conseils municipaux) et de trouver de nouvelles recettes exceptionnelles (les préventes de forfait mais surtout des subventions exceptionnelles à hauteur d’1,2 millions d’euros demandées au département, à la région et à l’état).

Si nous ne recevons pas ces aides, la commune sera déficitaire lors de la présentation du compte administratif, et le préfet transmettra à la chambre régionale des comptes qui mettra le budget des RM sous tutelle. Monsieur le Maire explique qu’il met tout en œuvre pour essayer de réduire les frais de fonctionnement et donc le déficit mais reste dépendant des aides que nous recevrons.

Compte rendu du CM du 28 septembre 2023

Sans levier d’action, nous attendons décembre…

Ainsi, avant même de parler de quelconque plan d’ouverture des remontées mécaniques pour l’hiver 2024, il s’agit de trouver plusieurs centaines de milliers d’euros (666 000 euros), alors que l’activité alpine creuse chaque année ce déficit et que les recettes des préventes de forfaits n’ont pas atteint les niveaux escomptés. 

Pour 2024, à moins d’une saison miraculeuse, les scénarios prévoient de continuer à creuser ce déficit. Ainsi, pourraient se rajouter 519 000 euros de plus (si l’on peut dire) dûs aux charges incompressibles (notamment de personnels, lié à un accord collectif qui impose 10 semaines de travail et une obligation de réembauche) mais aussi les coûts résiduels liés à la fermeture de la station estimés à 479 000 euros.

C’est donc un déficit de 1 163 000 € qui a été annoncé auprès de la préfecture et du département afin de prendre en considération les 666 000€ de déficit cumulé à fin 2023, un déficit résiduel de 479 000 € qui sera à supporter lors de la fermeture de la station.

Enfin, en fonction du résultat de la saison 2024, il faudra ajouter le bénéfice (si année exceptionnelle) ou le déficit. Pour rappel, les résultats des dernières années (hors COVID) oscillent entre – 70 000 euros et – 472 000 euros

Ainsi, sans aide extérieure, le total du déficit à la fin de la saison 2024 pourrait culminer à 1 635 000 euros.

Tout tient désormais au versement ou non de subventions exceptionnelles pour permettre à la régie de survivre à l’année 2023 (et probablement retarder la sentence pour 2024). Et si ces subventions n’arrivent pas ou sont insuffisantes, il appartiendra au budget communal d’assumer la différence, soit encore plusieurs centaines de milliers d’euros engagés à fonds perdus. 

Dans les dossiers de demande de subvention, la mairie assure qu’elle va mener un plan de transition vers une diversification économique du territoire. Ce plan semble être une condition sine qua non pour faire preuve de coopération et espérer obtenir quelques subsides.  Après des années de gestion sans boussole, on comprend très bien pourquoi la préfecture exige des garanties solides quant à la conversion du modèle économique de la commune après des années d’immobilisme. 

On comprend aussi très bien pourquoi ce plan de résilience est soudainement proposé par la mairie à la population. Et sera sitôt abandonné dès lors que la commune devra assumer seule la dette vertigineuse de la régie.

Un avis sur « Quelle est la situation financière à Autrans-Méaudre ? »

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer